LAMARTINE

 

 

 

 

     La bouche ruisselante de sang

 

 

« Or ces hommes, enfants ! pour apaiser leur faim, 

« N'ont pas assez des fruits que Dieu mit sous leur main ; 

« Leur foule insatiable en un soleil dévore 

« Plus qu'en mille soleils les bois n'en font éclore. 

« En vain comme une mer l'horizon écumant 

« Roule à perte de vue en ondes de froment : 

« Par un crime envers Dieu, dont frémit la nature, 

« Ils demandent au sang une autre nourriture ; 

« Dans leur cité fangeuse il coule par ruisseaux! 

« Les cadavres y sont étalés en monceaux. 

« Ils traînent par les pieds, des fleurs de la prairie, 

« L'innocente brebis que leur main a nourrie, 

« Et sous l'oeil de l'agneau l'égorgeant sans remords 

« Ils savourent leurs chairs et vivent de la mort ! 

« Aussi le sang tout chaud dont ruisselle leur bouche 

« A fait leur sens brutal et leur regard farouche. 

« De leurs coeurs que ces chairs corrompent à moitié 

« Ils ont comme une faute effacé la pitié, 

« Et leur oeil qu'au forfait le forfait habitue 

« Aime le sang qui coule et l'innocent qu'on tue. 

« Car du sang de l'agneau qui suce l'herbe en fleur 

« A celui de l'enfant il n'est que la couleur : 

« Ils ont à le verser la même indifférence ; 

« Ils offrent l’un aux sens et l'autre à la vengeance, 

« A la haine, à l'amour, à leurs dieux, à la peur. 

« Pour le verser plus tiède en se perçant le coeur 

« Ils aiguisent le fer ennemi de la vie, 

« Le fer qui fait couler le sang comme la pluie, 

« En haches, en massue, en lames, en poignard. 

« De l'horreur de tuer ils ont fait le grand art, 

« Le meurtre par milliers s'appelle une victoire : 

« C'est en lettres de sang que l'on écrit la gloire ; 

« Le héros n'a qu'un but, tuer pour asservir! 

 

                            ( La chute d'un ange)
 
 

 

                                    LAMARTINE 

 

Ici-bas, la douleur à la douleur s'enchaîne,

Le jour succède au jour, et la peine à la peine

                                                                            (Premières méditations)

 

 

 

      Tu ne verseras aucun sang

 

 

 

Tu ne lèveras point la main contre ton frère,

Et tu ne verseras aucun sang sur la terre,

Ni celui des humains, ni celui des troupeaux,

Ni celui des poissons, ni celui des oiseaux.

Un cri sourd dans ton coeur défend de le répandre,

Car le sang est la vie, et tu ne peux la rendre.

Tu ne te nourriras qu'avec les épis blonds

Ondoyant comme l'onde au flanc de tes vallons,

Avec le riz croissant en roseaux sur tes rives,

Table que chaque été renouvelle aux convives,

Les racines, les fruits sur la branche mûris,

L’excédent des rayons par l'abeille pétris,

Et tous ces dons du sol où la sève de vie

Vient s'offrir de soi-même à ta faim assouvie :

La chair des animaux crierait comme un remord,

Et la mort dans ton sein engendrerait la mort !...

 

 ( La chute d'un ange)

 

 

 

 

« On n'a pas deux cœurs, l'un pour l'homme, l'autre pour l'animal… On a du cœur ou on n'en a pas ».

Lamartine
 

« J’ai conservé une répugnance raisonnée pour la chair cuite et il m’a toujours été difficile de ne pas voir dans l’étal du boucher quelque chose de celui du bourreau ».
Lamartine