REFLEXIONS SUR L'ART POÉTIQUE

18/10/2013 18:47

 

 

 

                      BOILEAU

 

....Quelque sujet qu'on traite, ou plaisant ou sublime,

Que toujours le bon sens s'accorde avec la rime:

L'un, l'autre vainement ils semblent se haïr;

La rime est une esclave et ne doit qu'obéir.

Lorsqu'à la bien chercher d'abord on s'évertue,

L'esprit à la trouver aisément s'habitue;

Au joug de la raison sans peine elle fléchit,

Et loin de la gêner, la sert et l'enrichit.

Mais lorsqu'on la néglige, elle devient rebelle,

Et pour la rattraper le sens court après elle.

Aimez donc la raison: que toujours vos écrits 

Empruntent d'elle seule et leur lustre et leur prix

La plupart, emportés d'une fougue insensée,

Toujours loin du droit sens vont chercher leur pensée:

Ils croiraient s'abaisser , dans leurs vers monstrueux,

S'ils pensaient ce qu'un autre a pu penser comme eux...

...Quoi que vous écriviez , évitez la bassesse...

                                        BOILEAU   (Art Poétique)

                

 

     

 

 

 

                VERLAINE  (1844-1896)

 

 

A l’opposé de Boileau, l’art poétique de Verlaine prône la suprématie des sens sur l’Esprit,

le matériel sur le spirituel, l’équivoque sur la précision, le flou au vrai.  

A défaut d’éloquence il veut lui tordre le cou et assagir la rime que néanmoins il utilise....

Il balaye dans cette définition les génies de la poésie, ceux qui avaient quelque chose à dire et l’on dit,

Victor Hugo, Boileau, Agrippa d’Aubigné, Lamartine,  et bien d’autres à qui vont, bien entendu, 

mon admiration et  mes préférences...

 

 

 

      Art poétique

De la musique avant toute chose,
Et pour cela préfère l'Impair
Plus vague et plus soluble dans l'air,
Sans rien en lui qui pèse ou qui pose.

Il faut aussi que tu n'ailles point
Choisir tes mots sans quelque méprise :
Rien de plus cher que la chanson grise
Où l'Indécis au Précis se joint.

C'est des beaux yeux derrière des voiles,
C'est le grand jour tremblant de midi,
C'est, par un ciel d'automne attiédi,
Le bleu fouillis des claires étoiles !

Car nous voulons la Nuance encor,
Pas la Couleur, rien que la nuance !
Oh ! la nuance seule fiance
Le rêve au rêve et la flûte au cor !

Fuis du plus loin la Pointe assassine,
L'Esprit cruel et le Rire impur,
Qui font pleurer les yeux de l'Azur,
Et tout cet ail de basse cuisine !

Prends l'éloquence et tords-lui son cou !
Tu feras bien, en train d'énergie,
De rendre un peu la Rime assagie.
Si l'on n'y veille, elle ira jusqu'où ?

O qui dira les torts de la Rime ?
Quel enfant sourd ou quel nègre fou
Nous a forgé ce bijou d'un sou
Qui sonne creux et faux sous la lime ?

De la musique encore et toujours !
Que ton vers soit la chose envolée
Qu'on sent qui fuit d'une âme en allée
Vers d'autres cieux à d'autres amours.

Que ton vers soit la bonne aventure
Eparse au vent crispé du matin
Qui va fleurant la menthe et le thym...
Et tout le reste est littérature.